Matra
Jules Renard disait:"un homme a deux vies: la sienne et celle de son père".
J'ajouterais, "un corse en a trois: la sienne, celle de son pere et son ile".
Ici, le village d'origine de la famille de mon père: Matra. J'y ai passé de merveilleux étés, a pecher la truite a la main, construire des cabannes, ecouter pendant des heures mon copain JB parler de chasse aux chacha (?) et, plus tard j'y ai fait mes premiers amours, et mes premieres cuites. Matra est fait de maisons en pieres seches ou de chaux, massives, puissantes, inebranlables suplombant la valee. De la fenetre de ma chambre, on peut voir, au loin, la plaine orientale de l'ile avec la mer, tres loin. Tout pres, coule un ruisseau ou j'ai pris ma premiere truite (tout seul!), sur son cours, se trouve une mine d'arsenic, avec ses cristaux de relgar, une roche sulfuree, rouge ou orange. Les cailloux sont repartis sur le cours d'eau. On jouait dans les remblais de la mine avec les copains. On se badigeonnait le corps d'argile pour faire les sauvages. En bas de la montagne, on peut aller au "fleuve", le Bravone. Enjambé par un pont romain, il passe pres d'un vieux moulin a eau ou j'alais me baigner, generalement seul. Pour y aller, on doit traverser une chataigneraie qui me semblait millenaire. Les arbres font plusieurs metres de diametre. dans une clairiere se trouve une maisonnette, dont j'etais effrayé. Une sorciere devait habiter la... Au dessus du village, le monte castelle (prenant ce nom, je le supposait, des rochers qui le surplombent, en forme de crenaux des chateaux medievaux) j'y ai vu mes premiers aigles royaux, combatu des dragons et sauvé des princesses.
Les habitants de Matra sont parfois durs, parfois plein d'humour, mais la generosite et l'hospitalite et la camaraderie y est de mise. Tres souvent, je trainais chez les dames du village, une faisait le miel, l'autre du fromage (je l'adorais celle la), d'autres me donnaient des gateaux. Une tres ancienne qui n'avait qu'une dent, me demandait tous les jours "De qui tu es toi?" en corse. A chaque fois, je lui repondais, et elle me faisait un basgiu (bisou) digne de la pieuvre de chez Jules Vernes. De qui tu es toi?
Sur la place, les anciens restaient le matin et le soir sur le banc, parlant corse. L'un d'entre eux etait habille en costume traditionnel, velours cottelé, meme en Aout. Il fumait sa pipe, et sentait la vanille. D'autres jouaient aux boules et profanaient des injures a l'encontre du tout puissant ou de la sainte vierge (surtout ne pas repeter). Des fois, Pierre-Paul ou Fan-Fan m'emenaient sur le dos d'une Mule.
Matra c'est aussi des evenements qui m'ont choqué. L'Eternelle "vendetta" entre deux familles qui debouchait toujours en bagarre lors de la fete du village. La mort accidentelle de mon copain d'enfance qui etait ce qu'il y a de plus gentil sur terre. L'enterrement de mon pere. Cet autre enterrement ou un vieux me dit "il en faut pour tout le monde", calmement.
Et puis cette question, qui remplace le "de qui tu es toi?". Ca fait: "oh Petru Pascua' tu le parles le Corse?". Comme pour me tester. Le pire c'est qu'avec le temps que je passe a l'etranger, j'ai tendance a parler un drole de spanio-italo-franco-corso-whatever.
Jules Renard said: " A man has two lifes: his and his father's".
I would add "A corsican has three: his life, his father's one and his Island"
This is my father's familly village: Matra.
Labels: places
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